WEITERSWILLER

Anecdotes 6 : De la forêt au foyer

 

Dans les anecdotes précédentes nous avions abordé les questions de chauffage et avions vu que dans les années soixante le combustible de base au village était assurément le bois.
Cela peut paraître anodin ou même insignifiant mais connait-on vraiment le parcours du bois de chauffage qui va fournir sa douce chaleur durant les hivers rigoureux ?

Zollstock

Tas de bois devant la maison Weidmann dans les années 50

 

Les bûches.

Je ne vais décrire que les étapes et anecdotes relatives au bois qui nous était livré chaque année sous forme de quelques stères de buches déposées devant notre hangar. Les buches restaient ainsi quelques jours, voir des semaines dans l'attente d'être sciées par l'homme de la situation, un habitant de Weiterswiller qui était propriétaire d'une scie à ruban motorisée. L'engin automoteur, que l'on voyait fréquemment circuler au village, se transformait en un outil de coupe de bois en rabattant simplement la cabine du conducteur.

Les buches, une par une, étaient découpées en plusieurs morceaux d'une longueur approximative de 30 cm. En fin de sciage l'empilement devant le hangar avait disparu laissant au sol un impressionnant tas de sciure caché sous le véhicule et, dans la cour devant notre maison, un amoncellement disparate de buches coupées prêtes à être fendues à la hache. Fendues et non coupées.
Il est important de remarquer que l'expression " couper le bois " peut s'appliquer au travail du scieur mais est inadéquate à l'étape finale qui est un fendage à la hache et non une coupe. Le fendage s'effectue selon le sens des fibres du bois et il serait très difficile de fendre perpendiculairement les fibres de cette manière. Et après l'étape de sciage, point important à ne surtout ni négliger ni oublier, les us de l'époque voulaient que ce travail se termine par la dégustation de quelques bouteilles de bière que j'allais acheter chez notre voisin Ziegelmeyer.

Le fendage.

Quelques jours après c'est un de nos voisins, Bieber Georges, qui s'occupait du fendage du bois. Ce petit paysan habitait près de chez nous et élevait quelques bovins. De temps à autre il faisait affaire avec mon père.

Après avoir installé un gros billot de bois pour être à une bonne hauteur de travail, Monsieur Bieber se saisissait de sa hache et, pour bien tenir l'outil et éviter qu'il ne lui glisse des mains, crachait dans ses paumes pour assurer ainsi une meilleure préhension du manche de sa hache. C'était un rite qui se répétait de nombreuses fois durant son travail. Puis il plaçait le bloc de bois à fendre sur le billot dont la surface n'était jamais très plane et abattait avec force sa hache afin de faire pénétrer sa partie coupante dans le bois ou elle se bloquait. Il reprenait ensuite l'ensemble, la lourde masse hache-bloc de bois, la soulevant à une bonne hauteur puis l'abattant sur le billot en cognant cette fois avec la partie lisse de la hache. Par cet effet de masse le bloc éclatait en deux parties qui devaient à nouveau être fendues jusqu'à obtention de buches aux bonnes dimensions.

Durant les quelques pauses que s'accordait notre fendeur de bois un petit verre de vin, du Kiravi ou du Saint Morand, n'était jamais de trop. Monsieur Bieber savait aussi tenir les morceaux à fendre instables sur le billot de sa main gauche avant d'abattre sa hache avec précision sans se couper les doigts. Adolescent j'avais commencé un jour à faire du fendage mais, peu expérimenté et sans doute bien maladroit, j'ai failli me couper l'index de la main gauche. Par prudence je me suis vite abstenu à jouer les intrépides.

Bûches

Un tas de bois de hêtre fendu

 

Et après quelques jours de travail, un impressionnant tas de bois fendu se retrouvait à l'abri des intempéries au sol, sous le hangar devant les étables. Et dans ma prime jeunesse cet amoncellement devenait une nouvelle aire de jeu. Je me construisais alors une petite cabane au milieu du tas en empilant les morceaux de bois pour constituer des murs.

De manière plus générale la construction de cabanes était une activité très prisée par les garçons de mon âge et nous montions du côté du " Kechdewald ", rue des chevreuils bien avant l'existence du lotissement et de ses nouvelles habitations, des cabanes dans des trous de carrière mais aussi sur les grands arbres avec planches et clous provenant de l'atelier des menuisiers. Ce n'étaient jamais des structures très solides et un jour, sans doute trop nombreux à être montés dans un de ces abris éphémères, le plancher céda subitement provoquant la chute de quelques copains de jeux. Mais avec une réactivité surprenante ils s'accrochèrent aux branches et miraculeusement personne ne fut blessé..

Le séchage et l'entreposage.

Mais revenons à notre tas de bois. Pour obtenir un bon bois de chauffage il faut en éliminer le maximum d'humidité. Pour ce faire le bois fraichement fendu était d'abord stocké sous le toit du hangar, espace uniquement accessible avec l'échelle de six mètres de notre grange. Puis après des mois de séchage il était redescendu dans un local attenant aux étables appelé abattoir (Schlahhuss) car c'était l'endroit ou mon grand père boucher, Haehnel Simon, exerçait son métier de boucher. Outre le bois de chauffage cet endroit servait au stockage des sacs de son, achetés au moulin Becker de Dossenheim, gourmandise réservée à l'alimentation du bétail.

L'espace d'entreposage sous le toit du hangar était sous le vent ce qui favorisait le rapide séchage. Mais encore fallait il monter le bois fraichement fendu à cet endroit. Quand mon père faisait le travail, il prenait trois ou quatre morceaux entre ses mains et les lançait vers le haut mais l'exercice était bien trop difficile pour moi. Je ratais souvent mon lancer et les morceaux de bois revenaient très rapidement à leur point de départ. Et il fallait même éviter que je les prenne sur ma tête. Cerise sur le gâteau, les échardes se multipliaient dans mes mains peux rompues à ce travail physique.
Il était urgent de trouver un autre moyen pour monter tout ce bois. La solution a été d'accrocher une poulie en hauteur et c'est ainsi qu'avec mon frère nous avons accompli la tâche, remplissant un panier en osier, l'accrochant à la corde pour hisser la charge et l'entreposer de manière plus ordonnée sous le toit.
Pour ce qui est des échardes, une séance journalière d'extraction avec une aiguille à coudre désinfectée à la flamme d'une allumette réglait globalement le problème.

Hangar de séchage

Hangar de séchage du bois de la maison Haehnel

 

Après séchage en hauteur, le bois était, en fonction des besoins, redescendu dans le local abattoir. La tâche était bien plus facile et après mise en place de l'imposante échelle il suffisait de jeter le bois dans le local dont les deux grandes portes étaient ouvertes.
Autrefois les clés des serrures des locaux étaient imposantes ; celles de la cave et de l'abattoir étaient accrochées à des clous sous l'escalier de la maison menant du rez-de-chaussée au premier étage. Il fallait cependant un peu d'expérience pour différencier les deux.

Les hirondelles

Sous la réserve de bois du hangar, plusieurs couples d'hirondelles avaient élu domicile et construit leurs nids respectifs d'aspect grisâtre terreux. Et chaque année nous avions le plaisir d'entendre les gazouillis des oisillons au fort appétit. C'était bien impressionnant d'observer le constant ballet de leurs géniteurs apportant les becquées. D'autres nids se trouvaient aussi dans une des étables et mon père veillait à garder ouvert un accès pour les oiseaux. Un jour un de mes cousins citadin, sans doute plus garnement que moi, a pris une fourche pour détruire un des nids. Je pense qu'il s'est souvenu très longtemps de la raclée que mon père lui a donnée ce jour.

À Weiterswiller, avec la disparition des petits élevages il ne reste que le souvenir des tas de fumier. Et, en conséquence, les innombrables mouches peuplant habituellement ces lieux, fumiers et étables, ont déserté nos villages. Et nos gentilles hirondelles dont nous suivions le vol bas l'été lors des lourdes soirées orageuse, privées de leur subsistance, ont déserté ces lieux au fil des années.

Nid d'hirondelle

Un nid d'hirondelle avec la maîtresse du logis.

 

Décembre 2018

 
 

 

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François SCHUNCK - décembre 2007
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