WEITERSWILLER

Anecdotes 4 : La vie quotidienne au village

 

L'arrivée de l'eau courante.

C'est dans les années cinquante que l'eau courante a été installée au village. Je n'ai pas connu l'arrivée du courant électrique par contre j'ai suivi avec curiosité les travaux d'adduction d'eau, de la pose des canalisations à la construction du réservoir et de la station de pompage en 1958 en face du lavoir. Les canalisations, de longues tuyauteries noires assemblées de manière étanche par un joint de métal en fusion, furent enterrées dans les tranchées creusées dans le grès au pic et les travaux avaient perturbé durant un certain temps la circulation au village. En revanche aucune installation de réseau domestique ne fut nécessaire dans notre maison au 47 rue principale car l'eau courante avec sa robinetterie existait déjà depuis quelques années. Nous avions en effet à la cave une petite pompe qui captait l'eau de la nappe phréatique, qui affleurait sous le puits devant notre maison. Des années plus tard nous avons été informés que cette eau était d'une qualité sanitaire médiocre, chose que nous ignorions, en raison de la proximité de la fosse à purin.

Après les travaux d'adduction, le revêtement routier a été refait complètement. A l'époque on aspergeait d'abord le sol de goudron liquide puis on répandait un gravillon clair bien calibré sur la surface goudronnée. Un rouleau compresseur terminait cette mise en place. Et les jours suivants on pouvait malheureusement compter quelques parebrises étoilés ou très souvent réduits en mille morceaux en raison de la projection de gravillons non adhérents au passage de voitures. Ces incidents se répétaient d'ailleurs régulièrement lors de la réparation sommaire des nids de poules formés durant l'hiver. Et ceci malgré la mise en place durant les travaux de panneaux de signalisation temporaires " projection de gravillons ".

Notre cave.

Notre cave était toujours humide et un crapaud y a vécu d'ailleurs durant plusieurs années. Outre la réserve de combustible solide, boulettes et briquettes de charbon, nous y avions notre réserve de pommes de terre sur un lit de paille (l'obscurité retardait leur germination) et je me souviens même que nous y entreposions des œufs en conserve dans un liquide clair qui était sans doute de l'eau de chaux. Une bouteille d'huile de foie de morue, à l'odeur âcre et au gout tellement repoussant, y a séjourné pendant une très longue période. La consommation de cette huile avait été préconisée pour les enfants par notre médecin de famille pour ses bienfaits sur la croissance avec son contenu élevé en vitamines D et A. Mais l'huile, tellement dégoutante pour nous, n'a jamais été consommée.

L'humidité continuelle de la cave de notre maison peut encore se voir actuellement sur les murs autour de l'escalier y donnant accès. Le revêtement de crépi rouge et jaune est altéré depuis des années par la remontée disgracieuse de l'humidité sur une hauteur faisant approximativement un mètre (voir photo dans " Les années 1955-1965 "). Malgré son âge (plus de 50 ans), le crépi est, en 2018, resté correct sur l'ensemble de la façade. L'intérieur de la maison a toujours été entretenu de façon harmonieuse et le peintre Hoelinger, avec son éternel cigarillo aux lèvres, venait régulièrement refaire les papiers peints dans les pièces et c'est Louis Kister, un des menuisiers du village, voisin du peintre, qui nous avait fait les travaux de menuiserie de notre salle de bain, élément d'hygiène et de confort tant attendu. Leur domicile était dans l'actuelle rue des écoles.

Légumes, fruits, confitures et champignons.

Alors que la majorité des habitants du village avaient leur lopin de terre pour cultiver toutes sortes de légumes, mes parents n'avaient pas de jardin. Ma mère se fournissait régulièrement en fruits et légumes auprès du marchand de primeurs du village, Monsieur Brecher, qui habitait au village en face de la laiterie. Plus tard le couple Brecher, dont l'épouse d'origine allemande se prénommait Paula, s'est installé à Ingwiller, rue des étoiles si mes souvenirs sont bons, et chaque jeudi en soirée la tournée du commerçant l'amenait à Weiterswiller ou ma mère ne ratait jamais le rendez-vous.

Outre l'approvisionnement en légumes, ma mère faisait aussi des confitures et des conserves. Confitures de fruits, myrtilles, coings, fraises par exemple et conserves de fruits et légumes. Chaque année nous achetions à une famille de la Boxmuehl, hameau entre Weiterswiller et Neuwiller, un panier rempli de belles mirabelles ; elles étaient lavées et dénoyautées pour être mises en conserve dans des bocaux en verre de la marque " Le Parfait ", marque qui existe encore aujourd'hui. Les bocaux remplis étaient consciencieusement stérilisés dans une lessiveuse chauffée au bois puis conservés dans un placard après refroidissement. L'élaboration des confitures, fraises, coings, mirabelles, etc… se faisait par cuisson des fruits avec beaucoup de sucre cristallisé dans de grands récipients. La mise en bocaux de verre se terminait, après refroidissement et avant fermeture par une feuille de cellophane et un élastique, par d'adjonction d'une petite feuille ronde de papier transparent imbibée de schnaps pour rendre la surface stérile. Malgré ce traitement pour la bonne conservation il y avait de temps en temps un développement, certes limité, de moisissures en surface de la confiture.

Durant la saison des fruits, notre quotidien, chaque fin de semaine, s'enrichissait de tartes, tartes aux cerises (avec noyau), aux myrtilles, aux mirabelles (un délice) aux pommes ou aux fraises. Nous avions aussi régulièrement droit à des tartes au fromage blanc ainsi que des gâteaux secs au sucre et à la cannelle.

En automne la cueillette de champignons était de règle. Mon père ramenait souvent dans sa casquette, les sachets plastiques n'existaient pas encore, des champignons des prés qu'il cueillait sur les pâturages. Et en fin de semaine nos promenades en forêt nous permettaient de récolter des girolles et des pieds de mouton. Malgré leur abondance et leur omniprésence, nous ne prenions pas les bolets car nous ne connaissions pas suffisamment les espèces non comestibles ou dangereuses.

La vie au village...

Du temps où les Brecher, nos marchands de primeurs, habitaient le village je me faisais couper les cheveux chez leur voisin, un vieux coiffeur nommé Kitzler. Plus tard et après son apprentissage j'allais me faire coiffer chez Victor qui exerçait à ses débuts professionnels dans sa maison parentale route de La Petite Pierre.

Evoquer ces années passées à Weiterswiller il y a plus d'un demi-siècle c'est redonner vie à tous ses acteurs, commerçants, artisans, cultivateurs et éleveurs de bétail. Nous avons déjà parlé de Mme Graesbeck, la marraine de nombreux enfants et bienfaitrice du village mais il faut aussi évoquer le souvenir des curés et pasteurs ayant exercé au village.

Le pasteur Gerst et son épouse m'ont particulièrement impressionné par leur culture et leur humanisme. J'ai aussi connu le curé Etter et sa petite chienne Youki qui, un jour, a pincé le mollet d'une de mes sœurs qui s'approchait sans doute trop près de ses chiots dans la cour de la grand-mère d'Eliane, copine de jeu de mes sœurs. Des années plus tard son successeur m'avait un jour d'automne réquisitionné avec mes copains de jeu pour ramasser les pommes de son jardin. Et j'ai eu droit comme récompense à une pomme plus que mure. A l'époque les curés se promenaient souvent d'un bout du village à l'autre en lisant leur missel.

Dans ces années le nombre de paysans était encore élevé, surtout des petites exploitations, faisant aussi bien de la culture que de l'élevage. Avant la démocratisation des tracteurs, les charrettes de transport des récoltes ou de l'engrais naturel, fumier ou purin, étaient tirées par un attelage de vaches du paysan. En pleine saison de travaux ruraux, récolte de blé par exemple, la route principale du village prenait de temps à autre une dominante de couleur verte, fruit de l'accumulation des déjections fluides des bovins. Le passage de chevaux était plus rare et leurs déjections, beaucoup plus consistantes, étaient rapidement enlevées par les riverains alertés par le bruit des sabots ferrés. Les crottes des chevaux étaient très appréciées pour leur qualité d'engrais.

Moisson

Une récolte de blé en route pour la « Dreschmachine » - Photo, Widerschwiller Belderbuech

 

Dans la descente devant notre maison, les chariots tirés par les attelages devaient être freinés. Deux sabots de bois était mis au contact avec les deux roues arrière au moyen d'une manivelle qui était appelée " Méguenéc ". Ce n'est que des années plus tard que j'ai compris que ce mot étrange signifiait tout simplement " la mécanique "…

Les rares bœufs que l'on voyait passer devant la maison assez souvent étaient en service chez un transporteur de bois de Boxmuehl. Notre voisin Monsieur Joseph Ziegelmeyer, qui avait aussi son restaurant à coté de notre maison, avait depuis toujours un vieux modèle de tracteur, de couleur verte si mon souvenir est exact, de marque Zetor (fabrication tchèque). En hiver par les grands froids il préchauffait le moteur avec un système de grosse lampe à souder accrochée sous le moteur. Ce tracteur était à mes yeux increvable.

Tracteur

Un tracteur Ziegelmeyer, mais un Vierzon, pas le Zetor - Photo, Widerschwiller Belderbuech

 

En ces années les systèmes frigorifiques étaient rares, seul le boucher avait sa chambre froide entretenue, de temps à autre, par un technicien des établissements QUIRI, et en été le livreur de bière en fûts livrait aussi de grands pains de glace servant à garder la cave à bière au frais. Avant de devenir exclusivement une salle de fête du village, le hangar faisant face à la maison Bloch en direction d'Obersoultzbach était l'endroit où se faisait le battage du blé. Une grande batteuse occupait une part importante de la surface du local et, en plein été lors de la saison des moissons, les charrettes remplies de bottes d'épis de blé entraient l'une après l'autre par la droite du bâtiment et en ressortaient avec la paille et les sacs remplis de la récolte de grains de blé. En période de pleine activité c'était un endroit bruyant à l'atmosphère remplie de poussière. Mais déjà en ces temps la salle se transformait en salle de bal en diverses occasions. Avec la mécanisation progressive des outils de l'agriculture, l'antique batteuse a été supplanté par des moissonneuses batteuses qui effectuaient tout le travail directement sur les parcelles cultivées.

Batteuse

Une des premières moissonneusse-batteuses à Weiterswiller » - Photo, Widerschwiller Belderbuech

 

Et c'est ainsi que les années passant les petites exploitations agricoles ont peu à peu disparu du village. Les nombreux tas de fumier infestés de nuées virevoltantes de mouches ont été enlevés, les invasions de drosophiles dans les maisons ne sont plus qu'un souvenir, comme les bandes gluantes accrochées au plafond ou les insecticides en bombes fly-tox. Et les engrais chimiques ont remplacé les charrettes remplies de fumier et les citernes mobiles de purin. Finies les odeurs de la campagne.

Les Américains de Phalsbourg

Le 7 mars 1966, le Général de Gaulle, président de la République, annonça que la France se retirait du commandement intégré de l'OTAN et en février 1967 les Américains avaient quitté la base aérienne de Phalsbourg. Ce fut un grand bouleversement pour nombre d'habitants du village et des villages environnants. Nous nous étions habitués depuis de très nombreuses années aux doubles bangs des chasseurs à réaction américains franchissant le mur du son. Avec parfois quelques vitres cassées.

Ce qui fut le plus préjudiciable dans ce départ fut la perte des locataires américains. En effet de nombreux habitants avaient loué des maisons ou des appartements aux jeunes militaires de la base aérienne qui étaient venus avec leurs épouses et parfois leurs enfants en jeune âge. Trois familles américaines habitaient près de chez nous. Et ils ne parlaient qu'américain ce qui constituait un obstacle pour les relations de voisinage. Mais en fin d'année ils fêtaient la Saint Nicolas et je me souviens qu'un américain déguisé avec une longue barbe passait de maison en maison distribuant aux enfants du village des petits cadeaux fabriqués en extrême orient. A la Petite-Pierre un habitant exploitant agricole avait même fait construire une maison qu'il avait loué à plusieurs familles de militaires. La décision de notre président de la république lui est restée en travers de la gorge de longues années durant.

Quelques épouses de militaires jeunes mariés sont bien sûr tombées enceintes et j'ai interrogé un jour ma mère pour savoir pourquoi ces jeunes femmes de taille mannequin avaient de gros ventres. L'éducation sexuelle de l'époque n'avait rien à voir de ce que l'on dit aujourd'hui à nos enfants. C'était un sujet tabou entre parents et enfants. Et ma mère de me répondre « Les Américaines ne supportent pas la nourriture et en particulier les pommes de terre, ce qui fait gonfler leur ventre ».

Juillet 2018

 
 

 

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François SCHUNCK - décembre 2007
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