WEITERSWILLER

Deux anecdotes de Claude Haehnel

 

Du ferrage des chevaux et des vaches au cerclage des roues en bois.

À deux pas de notre maison de Weiterswiller (21 rue principale mais autrefois 47 rue principale, en direction d'Obersoultzbach et après le restaurant Ziegelmeyer se trouvait la forge de Georges Stutzmann, le forgeron et maréchal ferrant du village.

Forge

Enfants posant devant la forge - Photo, collection J.P. Bloch

 

Le ferrage des chevaux est très bien connu par le commun des mortels et trouver un fer à cheval est, paraît-il, un signe de chance. Le ferrage est l'action de poser un fer sous les pieds d'un animal. Introduit en Europe au Moyen Âge, le ferrage se perpétue pour les équidés et notamment les chevaux, mais il a également été abondamment pratiqué sur des bovins. Son but est de limiter l'usure et les atteintes sur la corne des sabots des animaux. Si le ferrage est toujours vu comme un acte de protection, un nombre croissant de propriétaires d'équidés remet son utilité en cause et lui préfère les « pieds nus». Et le ferrage des bovins a disparu car de nos jours le tracteur a complètement remplacé les attelages de vaches ou de bœufs. Fini le temps ou le commerce de bovins sachant tirer une charrette permettait de gagner sa vie. Donc comme dit en introduction c'est le forgeron Stutzmann qui faisait office de maréchal ferrant. Et la magie de cet art se concentrait, pour l'enfant que j'étais, dans les épaisses volutes de fumée blanche générées par la combustion de la corne lors de la mise en place du fer chauffé à rouge. Et non seulement l'aspect visuel de ce nuage était fascinant mais son odeur tellement caractéristique de corne brûlée, perceptible à des centaines de mètres, me faisaient courir pour assister au spectacle et me remplir le nez de l'odeur corne brûlée. C'était devenu en réflexe pavlovien au point qu'un jour, sentant les effluves magiques, j'ai traversé la route devant la boucherie Kuntz et me suis lancé sous les roues d'un vélo qui arrivait à ce moment, heureusement à faible vitesse.

Georges Stutzmann

Georges Stutzmann et René Bloch - Photo, Widerschwiller Belderbuech

 

J'étais aussi impressionné par le comportement calme des chevaux et des bovins durant l'opération. Le propriétaire tenait leur patte de manière à permettre l'action du forgeron et les bêtes se laissaient faire sans broncher. Elles en avaient sûrement l'habitude.

Avant la pose du fer il fallait enlever l'ancien fer usé souvent réduit à une épaisseur minimale, sortir tous les anciens clous puis nettoyer le sabot avec une sorte d'outil très acéré et le tailler pour ajuster au plus juste le nouveau fer. Et une foi l'ajustage effectué la pose à chaud tellement magique s'effectuait avant le cloutage définitif. Cloutage réalisé avec des clous à tête carrée pour ce qui est du ferrage des chevaux. Le père Stutzmann maniait avec beaucoup de professionnalisme tous ses outils et avait un geste précis pour toutes les opérations.

C'est surtout la magie du feu, maîtrisée avec éclat par le forgeron, qui captait l'attention du novice en découverte du monde et de la matière. Voir le fer rougir, éclatant de mille étincelles au moindre frottement était une vision magique dont on ne se lassait pas. Car l'essentiel du travail du forgeron nécessite le chauffage au rouge du fer pour le formage par martelage à l'enclume. Et créé à nouveau un plaisir de l'oreille à écouter les coups de marteau en rythme, coups portés sur l'objet mais aussi sur l'enclume pour garder ce rythme tellement caractéristique.

Ce travail avec le feu portait aussi sur le cerclage des roues en bois des chariots. Afin d'éviter l'usure du bois en contact avec le sol, un cercle de fer venait étroitement ceindre la roue. Et sa mise en place se faisait à plusieurs à coups de marteau sur le cercle brûlant qui venait par son refroidissement et son retrait thermique se coincer de manière pérenne sur la roue. À nouveau c'était la magie du feu qui impressionnait mais ici l'odeur exceptionnelle de la corne brûlée brillait par son absence.

Mai 2017

 

Mes voisins.

À l'époque de mon enfance c'est-à-dire durant la période 1955-1966, les voisins proches étaient l'épicier Herr, « de Herre Babe », remplacé plus tard par la famille Erbs Fernand (et ses filles Elisabeth et Marie Paule), le boulanger Held « de Helde Seppel » aussi appelé « de Stuhbeck » et sa femme Angélique dont les enfants se prénommaient Josiane, Germain et Arsène, les épiceries de Julie et sa sœur à côté de la maison de Guchdell, ancien négocient en porcelets, et de Suzanne Adolff en haut de la côte et bien sûr, en face de notre maison, le boucher Kuntz « de Kuntze Charrel » qui pratiquait à l'époque l'abattage de ses bêtes. Et à côté de la boucherie se trouvait le petit garage du mécanicien « de Chagébel », petit homme aux doigts souvent noirs et gras, qui savait tellement bien réparer les chambres à air crevées par vulcanisation et les vélos aux freins défectueux.

Le boucher Kuntz, dont la conversation du soir se limitait régulièrement à des sifflements remplaçant les mots après un séjour prolongé à une table du restaurant Ziegelmeyer, pratiquait l'abattage en début de semaine. De ma chambre à coucher j'avais une vue parfaite sur sa cour ou le lundi matin déambulaient quelques porcs. Puis l'abattage des pauvres cochons se faisait un par un. Le jeune apprenti montait vers le portail et chassait les animaux qui étaient attendus par le boucher Robert, caché derrière le mur, la hache-massue prête à s'abattre sur le crâne de l'animal le plus à sa portée. Et c'est avec des cris terribles que le cochon était assommé. Puis rapidement, Robert lâchait sa massue et se précipitait sur l'animal étendu et gigotant pour le saigner d'un coup de couteau bien ajusté. Et le jeune apprenti venait récupérer le sang giclant par saccades et remplissait un bidon dans lequel s'agitait son autre main pour empêcher le sang de coaguler en masse.

Charles Kuntz

Le boucher Kuntz (à droite) dans son laboratoire avec Charles Schunck et un apprenti - Photo, collection Schunck

 

Le porc était ensuite ébouillanté dans un bac semi cylindrique rempli d'eau bouillante pour enlever les soies. Une poudre de résine était ajoutée à cette eau bouillante. Durant l'opération le porc était constamment tourné avec une chaîne métallique. En fin d'opération la carcasse était d'une propreté et d'une blancheur remarquable.

L'éviscération suivait après pendaison par les pattes arrière à des crochets prévus à cet effet et la récupération des poumons et du cœur terminaient le nettoyage de l'intérieur du porc. L'opération finale consistait à scier ou fendre la carcasse en deux.

Pour ce qui est des bovins, cela se passait à l'abri des regards dans la bâtisse, dans l'abattoir. L'animal était solidement attaché avec sa corde à un anneau fixé au sol puis ses yeux étaient recouverts d'un tissu; le boucher tuait la bête d'un coup de pic bien ajusté sur l'arrière du crâne. Et alors le travail commençait par le vidage du sang et la récupération de la peau de la bête qui avait une certaine valeur marchande. Cette peau était immédiatement salée et pliée pour sa conservation.

Les carcasses étaient contrôlées par le vétérinaire et après conservation quelques jours pour faire mûrir la viande, la découpe suivait. Et la fabrication du jambon et des saucisses de tout genre, le fumage et bien d'autres opérations constituaient le travail de la semaine.

Les apprentis du boucher, qui étaient en général gardés durant 3 ans, logés et nourris, sortaient tout juste de l'école à 14 ans. Ils recevaient un petit salaire mais était corvéables à merci. Celui qui avait mon âge, rentré en apprentissage en 1964, avait confié ses maigres revenus à sa mère et s'est retrouvé sans le sous au bout de deux ans car son argent avait été dilapidé ...

Juin 2017

 
 

 

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François SCHUNCK - décembre 2007
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