WEITERSWILLER

Les arbres de la Liberté

Les deux tilleuls qui ont longtemps ombragé la route devant la boucherie Doerr étaient les lointains et derniers descendants des arbres de la Liberté dont le premier fut planté sous la Révolution.
Pour célébrer le jour mémorable de la prise de la Bastille, on planta en effet en France des dizaines de milliers d'arbres dits « de la Liberté ». Les bouquets des fêtes données pour l'occasion se devaient d'être composés des trois couleurs nationales, le bleu, le blanc et le rouge.
Au bleu et au rouge, couleurs de la ville de Paris, La Fayette avait en effet associé le blanc du lis, couleur de l'ancienne France, pour marquer l'alliance du Roi et du peuple. La composition des bouquets était aisée. Il suffisait d'aller dans un champ de blé pour cueillir les fleurs de saison qu'étaient le bleuet, le coquelicot et la marguerite.

Arbres de la liberté

Réjouissances autour d'un arbre de la liberté, en Alsace

Les dépenses occasionnées par la plantation du premier FreiheitsBaum de Weiterswiller sont détaillées dans les comptes de la commune de 1792 : l'arbre fut acheté 3 livres au forestier Berger), et Philippe Heiler, de Bouxwiller, confectionna un bonnet phrygien qu'il factura 5 sous, pour en coiffer le sommet.
La cérémonie de la plantation fut l'occasion d'intenses réjouissances et de copieuses libations. On y but 126 litres de vin fournis par Michel Husser pour la somme de 15 livres et 8 sous et on y dansa au son de l'instrument du Musikant Antoine Köhl qui reçut 2 livres pour sa prestation. Comme à l'accoutumée les explosions de pétards ponctuèrent les moments forts de la journée.
Martin Aron, habituellement chargé du chauffage de la salle du conseil municipal, se vit confier la tâche de soigner cet arbre.

Une deuxième arbre fut planté en 1793 et un second bonnet phrygien d'un coût de 4 livres fut acheté à Henri Schmitt. La cérémonie fut plus sobre que l'année précédente : les citoyens ne burent que 12 litres de vin fournis par Georges Henri Vollmer pour la somme de 3 livres et, cette fois, il n'y avait pas de musicien. L'enthousiasme bon enfant des débuts de la Révolution avait disparu devant la montée des périls, le village était désormais divisé et l'extrémisme révolutionnaire pointait le bout de son nez ...

Le 20 octobre 1793 les Prussiens du duc de Brunswick entrèrent dans Weiterswiller qu'ils occupèrent pendant près d'un mois. Epargnèrent-ils ces arbres de la Liberté, symboles de la Révolution contre laquelle ils se battaient ? C'est bien peu probable. Quoiqu'il en fut, de l'an 2 à l'an 6 de la République il n'est plus question de Freiheitsbaum dans le budget communal.

En 1799, une loi parut qui ordonnait de « replanter l'arbre de la Liberté lorsque celui-ci vient à périr ». Sans doute s'y conforma-t-on à Weiterswiller ...
Le temps passa et les régimes se succèdèrent : le Consulat, l'Empire, la première Restauration, les Cent-jours, la seconde Restauration, la Monarchie de juillet et enfin une nouvelle Révolution, celle de 1848, qui vit la naissance de la deuxième République. De nouveau, partout en France, retentit le cri « Vive la Liberté ! » et de nouveau, partout en France, on planta des arbres pour la célébrer.
Ce fut l'abbé J.B. Trombert qui prononça le 30 avril 1848 le discours lors de la cérémonie de plantation de l'arbre de la Liberté sur la petite place de la rue principale de Weiterswiller.

Arbres de la liberté

Place de la Liberté, près de l'ancienne synagogue (dessin de Tony Langen)

Egala-t-il l'éloquence de Victor Hugo qui, dans les mêmes circonstances, s'exprimait ainsi le 2 mars 1848 :
«... C'est un beau et vrai symbole pour la liberté qu'un arbre ! La liberté a ses racines dans le coeur du peuple, comme l'arbre dans le coeur de la terre ; comme l'arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l'arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre.(Acclamations.)
Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha.
(Acclamations.)
Le premier arbre de la liberté, c'est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s'est offert en sacrifice pour la liberté, l'égalité et la fraternité du genre humain. (Bravos et longs applaudissements.) » ?

Il y avait, en fait, deux arbres à Weiterswiller dont la vie fut écourtée par une lettre du sous-préfet en date du 20 février 1852. Voici ce qu'on lit à la date du 24 février dans le registre de délibération du conseil municipal :
« Le conseil municipal s'est réuni pour délibérer sur la destination à donner aux deux arbres de la Liberté qui existent à Weiterswiller et que le maire vient de faire abattre en vertu de la même lettre. « Le conseil municipal, après en avoir délibéré a, à l'unanimité, arrêté que ces arbres soient employés de suite à la fontaine dite Dorfbrunnen pour servir de garde-fous sur le mur soutenant le chemin passant à côté de cette fontaine sur une élévation d'environ 3 m sur 60 de long, vu et attendu que ceux s'y trouvant sont usés et laissent attendre des accidents. » Ce devaient être de bien beaux arbres, car il en faut du bois pour fabriquer 60 mètres de garde-fous !

Plus tard, à plusieurs reprises, d'autres arbres - des tilleuls - furent replantés au même endroit, rappelant par leur présence aux générations successives l'idée révolutionnaire de Liberté, parfois moribonde mais toujours renaissante. Ils sont des témoignages vivants de l'histoire du village par delà les années qui passent.
Les deux arbres qui ont été plantés en 2007 à l'occasion de l'aménagement de la traversée du village, l'un place de la Liberté, l'autre à proximité de l'église historique, sont en quelque sorte la concrétisation d'un devoir de mémoire.

 

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François SCHUNCK - décembre 2007
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